Qui aurait cru que les blogs deviendraient chez moi une manie aussi
envahissante, aussi vite ? Mais celui-ci restera anonyme, je préfère
rester cachée dans les coulisses de mon espace virtuel.
Beaucoup
de choses se passent, qui m'incitent à les étaler : en parler devrait
m'aider à faire le point, à organiser un débat intérieur devenu
nécessaire, voire urgent. Jusque-là, c'était plutôt ailleurs que je
cherchais la réponse : j'aurais cru les mêmes questions posées et
élucidées par d'autres. J'ai peut-être mal cherché. Dans le brouhaha
des blogs existants, on a parfois du mal à entendre distinctement. Je
lis en ce moment Something I am not de Lucy Beresford, une Britannique de Londres. Je l'ai commencé il y a
maintenant près d'un an - un peu moins, il s'agit d'être exacte - j'ai
dû l'acheter en février ou mars dernier. Mais le livre accroche mal. Je
crois que j'en attendais trop, et les réponses que je voulais y trouver
restent en suspens. Peut-être que c'est mieux ainsi, d'ailleurs. Un
style plus didactique aurait fait perdre à l'auteur sa crédibilité.
Mais l'histoire se perd dans des labyrinthes sans fin. Je l'ai repris
en main la semaine dernière, jeudi soir pour être exacte : le jour de
l'anniversaire de mon partenaire. 33 ans. Les miens semblent déjà
loin... J'approche des 37 à grands pas. J'aime bien ce chiffre, 37, si
ce n'est qu'il fait résonner d'un ton un peu plus dramatique le tic-tac
inéluctable du temps qui passe.
Jeudi dernier, c'est aussi le
jour où je suis tombée en panne de pilule. Une panne pré-programmée,
puisque j'en avais parlé deux jours plus tôt quand X était sous la
douche : "Oh-oh... - Qu'est-ce qui se passe ? - Dans 2 jours, tout peut
arriver, jeudi, c'est là que tout va commencer ! Le début d'une
nouvelle histoire - Oui, c'est mon anniversaire ! - Justement, ça tombe
bien, bon anniversaire mon chéri, j'ai une surprise pour toi..."
Surprise de taille, mais dix minutes plus tard, le ton avait changé :
"Après tout, si on décide de le faire dans quelques mois, c'est vrai qu'il vaudrait mieux que tu arrêtes de prendre la pilule maintenant."
Les
mots "bébé, enfant, être papa/maman" et d'autres comme ça, sont plus ou
moins tabous à la maison. Moi-même je ne suis pas très à l'aise en les
manipulant. Nous ne sommes pas très mûrs de ce point de vue. Le concept
nous a toujours mis l'un comme l'autre assez mal à l'aise, et les mots
qui touchent au sujet me paraissent épineux - émotionnellement trop
forts, déjà. redoutables, collants. A eux seuls, ils chargent
l'atmosphère d'une électricité désagréable. Je crois qu'en les
entendant, j'ai souvent du mal à réprimer une sensation de dégoût. Je
le réalise mieux maintenant que je prends le temps de l'écrire. Ou
peut-être que je ne fais que traduire mon impression du moment. L'année
dernière, au mois de mai-juin, je croyais que X était le seul coupable
de ce malaise : le silence me pesait, la discussion faisait cruellement
défaut - j'évitais d'aborder le sujet plus d'une fois par semaine, en
dépit du fait que j'y pensais moi-même nuit et jour. Je ne savais pas
comment aborder le sujet, sans donner l'impression de faire pression.
Il faut se rendre à l'évidence, nous sommes tous les deux des poules
mouillées.
J'ai eu besoin lundi dernier de reconfirmer ce que
tous les deux devions déjà savoir. "Je ne prends plus la pilule depuis
4 jours, tu en es conscient ?" "Oui, m'a-t-il répondu, mais je n'ai pas
eu le temps d'y réfléchir - Qu'est-ce qu'on fera donc si tu tombes
enceinte ? - On avisera."
C'est un risque idiot : je le sais.
Depuis trois jours, d'ailleurs, je me dégonfle déjà - alors que les
premiers jours, les risques étaient minimes (ce ne serait pas la
première fois que j'oublie 1 ou 2 comprimés d'affilée, par pure
inadvertence, depuis que j'ai éteint le signal d'alarme sur mon
téléphone). Mais les jours passent, et les risques deviennent de plus
en plus critiques. Mon humeur change au jour le jour. Je m'attendris
parfois sur l'idée d'un nouveau-né, d'un petit bonhomme qui me
regarderait droit dans les yeux avec toute la confiance du monde. Mais
je le sais : cela ne suffit pas. D'ailleurs, pour être tout à fait
honnête, je m'imagine m'attendrir sur un petit être humain, mais je ne l'ai jamais fait. Ma
soeur a pourtant eu 3 enfants, 3 filles, je les ai toutes vues bébés
(sur le berceau de la dernière, si, peut-être, j'ai pu me pencher et la
trouver mignonne, je ne me souviens plus très bien à dire vrai). Mais
d'autres ami(e)s ont eu depuis - et récemment - des enfants qui ne
m'ont fait ni chaud ni froid. Je ne m'en approche pas d'ailleurs. Je
reste soigneusement à l'écart. L'odeur des enfants et des produits
laitiers mal digérés m'écoeurent un peu. Leur peau frippée me fait
peur, la couleur de leurs mains, de leurs pieds, leurs yeux perdus dans
le vague, leur tête dodelinante. Plus que tout, c'est le regard des
autres, des adultes autour qui me gèlent. Toute seule dans une pièce
avec eux, je m'enhardirais, peut-être. Mais les autres connaissent ma
position sur le sujet, ils me surveillent : va-t-elle craquer,
va-t-elle sourire, le toucher, le bercer peut-être ? Je ne sais pas
tenir un enfant dans mes bras - ou peut-être que je saurais, je ferais
comme tout le monde, mais je ne l'ai jamais simplement jamais fait.
J'ai toujours refusé, platement, prétextant une certaine maladresse :
non pas que j'aie peur de les faire tomber, mais j'aurais peur de leur
faire mal (ce trou qu'ils ont dans la tête, paraît-il...). Le mois
dernier encore, même topo : ma belle-soeur s'est approchée de moi avec
le bébé de 3 semaines dont avait accouché une cousine. En s'approchant,
elle a commencé à me tendre le petit, et elle en rigolait déjà :
"regarde la tête de X quand elle a un bébé dans les bras..." Public
garanti : 7 paires d'yeux rivées vers moi. Jamais de la vie. J'ai
répondu tout simplement que je n'étais pas très à l'aise et que je ne
saurais pas le tenir. Elle a insisté. Sa copine a répondu discrètement
: "Arrête, ce n'est pas drôle, n'insiste pas..." Ouf, merci... une amie
dans la foule !
Je me demande ce que les autres en pensent, ce
qu'ils en disent. En parlent-ils entre eux ? Mon partenaire m'a dit
justement il n'y a pas si longtemps que les gens devaient nous trouver
bizarres, à ne pas vouloir d'enfants. Qui sait ? Personne ne nous pose
vraiment de questions à ce sujet-là, il faut dire. Une autre
belle-soeur, à une réunion de famille il y un an ou deux, a abordé le
sujet ouvertement : "Alors, quand est-ce que vous allez avoir des
enfants, vous deux ?" Avant même que j'aie pu penser à court-circuiter
la question, mon frère avait répondu pour moi, d'un air catastrophé et
mélodramatique : "Ah mais non, S, il ne faut pas parler de ça avec ma
soeur, c'est un sujet tabou, on ne peut pas poser cette question-là, c'est
comme ça -- excusez-là, elle est nouvelle dans la famille, elle ne
connaît pas toutes les règles..."
Un sujet tabou ? A ce point ?
Je ne m'étais jamais rendu compte à quel point je devais me fermer
comme une huître dès qu'on mentionnait les enfants. Peut-être,
maintenant, en y réfléchissant... Ils ont donc dû tomber d'équerre en
apprenant l'année dernière que j'étais tombée enceinte sans le vouloir
: Ah, enfin ! Mais l'avortement, finalement, avait fait rentrer les
choses dans l'ordre et redonné à chaque personnage son masque normal.